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Le pays qui ne s’aimait pas 
Actuel n°89, vendredi 8 avril 2011
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« Au Maroc, on est toujours le Fassi d’un autre. Â»

Ce n’est pas la Constitution qu’il faut changer, c’est le peuple ! » On croirait un slogan surrĂ©aliste ou un trait d’humour noir. Mais c’est juste une rĂ©plique sincère, lancĂ©e par une bourgeoise casablancaise exaspĂ©rĂ©e par le Mouvement du 20 fĂ©vrier. Une formule lapidaire qui rĂ©sume la haine d’une classe sociale pour une autre.


***

Il y a d’innombrables raisons de s’indigner au Maroc, à commencer par la faible propension des Marocains à l’indignation ! Mais le trait le plus stupéfiant quand on est né ailleurs, c’est la détestation d’une partie du pays pour son propre peuple.

Un mépris ostentatoire qui affleure dans les discours comme dans les comportements et qu’on n’a aucune pudeur à afficher, surtout face à un nasrani.

Morceaux choisis, « récoltés » entre Anfa supérieur et Chez Paul : « Ah, c’était tellement mieux au temps des Français. Il n’y avait pas tous ces arroubi à Casa. Regardez-les conduire : ils se croient encore dans leurs douars ! » ; « Vous les Français, vous ne savez pas vous y prendre avec vos bougnoules » ; « On ne peut pas travailler avec ces sous-développés »…

On se pince et on se dit qu’on a affaire à de vieux schnocks, puisque les bourgeois, c’est comme les cochons, plus ça devient vieux…

Il est facile de railler l’incivisme des pauvres

Mais non, la jeunesse dorée de Lyautey ou de Descartes reproduit à l’envi ce discours de colon : « Au Maroc, j’ai l’impression de vivre dans un zoo », dit l’un. « Pourquoi j’apprendrais l’arabe, à quoi ça va me servir ? », argumente un autre.

Et ces étrangers dans leur propre pays n’envisagent pas un instant de vivre ici le reste de leur vie. Ils ont beaucoup pris du Maroc. Mais ils ne redonneront rien.

Enfin, jusqu’à ce qu’ils réalisent que la vie sans boniche, sans cuisinière, ni chauffeur dans un Occident où ils sont parfois traités comme des bougnoules, ce n’est pas la dolce vita espérée.

Alors on revient jouer les aristos en professant une modernité hédoniste mais en agissant comme un féodal.

Le peuple n’est bien sûr pas exempt de défauts. Il est facile de railler l’incivisme des pauvres. Alors que le premier acte civique serait de partager une partie de ses richesses, et surtout de son savoir, avec ceux qui n’ont rien.

Ceux qui dédaignent le peuple ont beau jeu de brocarder son ignorance. Mais qui maintient les pauvres en ce tiers état si ce n’est ceux qui en profitent ? Le Maroc peut-il prétendre devenir une nation développée si la caste qui le dirige a tout intérêt à maintenir un système inégalitaire ?

Heureusement qu’il reste les chiens !

Cette guerre des classes ne se limite d’ailleurs pas à la caricature facile du Fassi qui écrase de sa suffisance les ould derb qu’il croise.

Au Maroc, on est toujours le Fassi d’un autre plus mal loti et qu’on traite avec condescendance : le cadre moyen, qui se courbe sous le joug d’un roitelet de bureau, tyrannise à son tour sa bonne qui ira humilier le gardien...

C’est sans fin. Heureusement qu’il reste les chiens pour ceux qui n’ont rien.

La conséquence de cette césure, c’est une grande peur. Les bien-nés vivent dans la crainte perpétuelle de tout perdre. On se réfugie dans un bunker « sécurisé ». On n’ose plus téléphoner dans la rue.

On se calfeutre dans un 4 x 4 qui vaut dix vies de l’éclopé qui tend la main au feu rouge. On circule dans une ville sans jamais mettre les pieds dans les trois quarts de ses quartiers. On vit barricadé dans son propre pays comme dans ses certitudes.

Le corollaire de cette morgue obscène d’une (grande) partie de l’élite, c’est la haine que lui voue ceux qui en sont l’objet. Les hommes et les femmes exclus du système, et sans aucun espoir d’y pénétrer car l’ascenseur social est resté bloqué à l’entresol, rejettent la culture, la langue, le « modernisme » d’une caste qu’ils n’ont même plus envie d’intégrer.

La bourgeoisie a pourtant de la chance : le peuple préfère encore la résignation à l’indignation. Il n’est pas certain que ce fatalisme dure et le jour où il se cabrera, il sera trop tard.

Pour ne pas en arriver à ce point de non-retour, il n’y a pas que des « visions à dix ans », des programmes ambitieux et des plans ronflants. Il faut commencer par changer de paradigme et cesser de se comporter indignement.

Pour que le peuple ne se révolte pas, peut-être faut-il d’abord lui rendre… sa dignité.

Eric Le Braz

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