La contestation a permis d’augmenter les moyens de surveillance. Mais les méthodes de nos services sont de plus en plus contestées. Un dossier brûlant de plus pour Ramid...
Le général Belbachir a poliment décliné l'offre, le général Laânigri, gravement malade est hors circuit... Quel sera le grand manitou qui pilotera le fameux Conseil national de sécurité ? Débaucher Yassine Mansouri qui a fait du bon boulot à la tête de la Direction générale des études et de la documentaion (DGED) ? Pour l'instant, c'est le wali Mouhyeddine Amzazi, à la tête d'une cellule au ministère de l'Intérieur, qui met les dernières retouches aux textes qui déterminent le champ d'action du Conseil national de sécurité. L'article 54 de la nouvelle Constitution a défini les grandes lignes de cette instance de « concertation sur les stratégies de sécurité intérieure et extérieure du pays, et de gestion des situations de crise, qui veille à l'institutionnalisation des normes d'une bonne gouvernance sécuritaire ». Dans le détail, cette instance est chargée des stratégies de sécurité intérieure et extérieure du pays, de la gestion des situations d'urgence, et de la mise en place des conditions de la bonne gouvernance sécuritaire, de la prévention et lutte contre les ingérences et les menaces étrangères, [...] contre tout acte « visant à porter atteinte à l'autorité de l'État, au secret de la défense nationale ou au patrimoine économique du pays ».
En attendant l'acte de naissance officiel de la fameuse instance, les secousses du printemps arabe, les manifestations à répétition, le bouillonnement de la rue et la crainte de menaces d'infiltration du 20-Février par des « mains étrangères » focalisent l'attention, et les efforts de services comme la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST), chapeautée par Abdellatif Hammouchi, la DGED ou encore les Renseignements généraux (RG).
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Mesures préventives
Pour montrer l’efficacité de ces mesures préventives qui jonglent avec la légalité, on met en avant le démantèlement récent d’une cellule liée au « parti de la libération islamique », le groupe islamiste radical fondé en 1953 par le cheikh Taqiuddin an-Nabhani, à Al-Qods. Les trois membres arrêtés, dont un Marocain de nationalité danoise, qui distribuaient des tracts appelant à la chute du régime, devaient « superviser l’exécution d’un plan visant à porter atteinte à la sécurité et à la stabilité du pays à travers le recrutement d’un maximum d’éléments endoctrinés à cet effet ».
Résultat, les services de renseignement ont accru leur surveillance des communications, de la cybercontestation, « la surveillance des mouvements, groupes ou organisations subversifs violents et les phénomènes de société précurseurs de menaces », pour emprunter la phraséologie des rapports secrets. Dans l’actualité la plus brûlante, ces mêmes services ont été bousculés par les troubles de la ville de Taza, qui ont connu une flambée sans précédent les 3 et 4 février. « Difficile de trouver une réponse immédiate qui ne soit pas de l’ordre du tout-sécuritaire face à des jeunes fermement décidés à en découdre avec les forces de l’ordre », explique l’un de ces hommes de l’ombre. Et d’ajouter que, contrairement aux idées reçues, les services sont, eux aussi, attentifs à ne pas écorner le capital de sympathie créé par les « avancées politiques » réalisées par le Royaume depuis le démarrage du printemps arabe.
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La sous-traitance de la torture
Paradoxalement, le printemps arabe a boosté l’espionnage politique comme il a permis aux services de profiter de ce climat pour mettre sous surveillance de nombreuses personnes. Les écoutes téléphoniques et les contrôles de courriels se pratiquent allègrement. De nouveaux moyens technologiques très sophistiqués ont été mis en place : il est extrêmement facile pour les services, aujourd'hui, de surveiller les contestataires. Etouffer dans l’œuf toute contestation exige d'obtenir le plus rapidement possible le maximum de renseignements possibles. Avec cette pression, les dérapages sont-ils plus fréquents ? Depuis le fameux « pique-nique » des vingtfévrieristes devant la forêt de Témara, de nombreuses voix de nombreuses ONG s'élèvent régulièrement pour demander plus de contrôle sur nos services de renseignement.
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La DGST sous contrĂ´le
Le 19 janvier dernier, le Comité marocain contre la torture (un collectif de quatorze ONG) a adressé une requête à Benkirane pour le sommer d'ouvrir le centre de Témara dépendant de la DGST aux ONG, et au rapporteur de l’ONU contre la torture. Ces ONG accusent le centre d'abriter des bureaux de liaisons de services de renseignement étrangers, comme la CIA qui en aurait fait un centre de sous-traitance de la torture de prévenus de nationalités étrangères. Pour l'instant, il s'agit d'arracher un plus grand contrôle parlementaire et administratif ; on n'en est pas encore à exiger l'officialisation des moyens et outils nécessaires aux opérations comme les moyens d’écoute sonore, la pose de balise, l’infiltration, la pénétration de locaux, l’usage de fausses identités… Sur cette question, Ramid n'a pas encore révélé sa botte secrète. Mais il y a une semaine, suite aux allégations de torture d'un des chioukhs salafistes, à sa sortie de prison, le ministre de la Justice dévoilait le fond de sa pensée : « Je n’ai pas souhaité qu’il porte plainte, car cela ne ferait que rallonger les procédures. Maintenant, s’il le fait, je m’engage à ouvrir une enquête. » Dans la foulée, Ramid explique que la DGST sera désormais sous contrôle. « Je n'ai pas vocation à contrôler leur travail de veille territoriale, sauf lorsqu’il sera confronté au principe du respect des libertés des personnes. Mais dans le cas où il y aurait des dépassements sur ce volet, je suis prêt à démissionner ! »
Abdellatif El Azizi |