Le Gadiri le plus célèbre de la planète a attiré les foules venues écouter ses leçons sur la crise économique. Mais il y avait bien d’autres leçons à tirer de sa prestation...
Gérard Depardieu vient d’annoncer qu’il allait bientôt interpréter son personnage à l’écran (avec Isabelle Adjani dans le rôle d’Anne Sinclair). Son procès au civil dans l’affaire du Sofitel est prévu fin février à New York. Il pourrait être entendu par les juges dans les prochains jours sur l’Affaire du Carlton... mais c’est dans un autre hôtel qu’il vient de faire parler de lui.
Alors qu’aux yeux du monde sa chute semble interminable, DSK a choisi de rebondir au Hyatt de Casablanca. Le 1er février, devant le Tout-Maroc économique et politique, il est célébré comme une star et accueilli comme un chef d’Etat.
Dès son arrivée, il est salué par le président du Parlement, Karim Ghellab, et le ministre des Finances, Nizar Baraka, avec qui il plaisante en racontant ses histoires de plomberie défectueuse à Marrakech. On n’imagine guère l’ex-président du FMI blaguer avec le ministre des Finances français ou saluer le président du Congrès américain.
S’il pointait le nez à ce type de colloque en Europe ou aux Etats-Unis –mais qui oserait l’inviter? –, on l’ignorerait ostensiblement et des féministes activistes s’empresseraient de l’enfariner. Mais à Casablanca, pas une femme ne lui a jeté son stiletto à la figure, et Fathia Bennis, la présidente du Women’s Tribune, était même dans la salle.
«J’avais une copine féministe à côté de moi, raconte le jeune ténor du barreau de Casablanca, Youssef Chehbi, venu assister au show Strauss-Kahn. Quand DSK a fini de parler, elle m’a dit : « On se fout de ce qu’il a fait au Sofitel. Un mec comme ça peut faire ce qu’il veut. »
Ce «mec» a parlé plus d’une demi-heure en improvisant pour distiller à l’assistance subjuguée des leçons sur la crise. Le discours était de haute volée, sans être totalement original, mais les leçons économiques de sa prestation n’étaient pas forcément les plus pertinentes. En se livrant à cet exercice, l’homme, qui fut à son corps défendant le people de l’année 2011, nous a surtout éclairés sur lui-même.... et sur nous.
Pourtant, après avoir passé la journée à consulter son iPad tout en écoutant les intervenants se succéder à la tribune, DSK avait l’air abattu et un peu à l’ouest. Mais il faut se méfier des apparences. En fin de journée, face à la salle, il avait recouvré son panache. Comme si le tsunami qui l’avait emporté en mai dernier n’avait jamais eu lieu. C’est ce que l’on appelle la résilience, «la capacité de pouvoir se reconstruire après avoir vécu un traumatisme», explique la psychologue Saida Laraki.
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Ce qui ne vous tue pas...
Le patron du FMI donne le change, ce qui ne surprend guère le sexologue et psychothérapeute Aboubakr Harakat : «Ce qui ne vous tue pas vous renforce. Il illustre cette maxime. De toute façon, il a toujours clamé son innocence. Pourquoi devrait-il endosser un habit de misérable? Il n’a jamais été misérable ce garçon.»
Mais la résilience de DSK est-elle réelle ou feinte? «C’est un être fort, intelligent, qui gère bien ses émotions, souligne Nadia Kadiri, professeur de psychiatrie et praticienne au CHU Ibn Rochd de Casablanca. On ne sait pas s’il y a résilience. Seul l’avenir nous le dira...» Mais le présent nous éclaire déjà beaucoup.
Pendant son discours, DSK s’est livré à un véritable festival d’allusions personnelles, sous couvert de démonstrations économiques. Il évoque Jean-Pierre Chevènement qui «disait à propos de Maastricht, que si on mettait le doigt dedans, il fallait aller au bout». Avant de conclure, sous les applaudissements, avec une phrase d’anthologie : «La leçon de cette crise, c’est qu’on ne peut pas être à moitié mariés.»
Dans la salle, Youssef Chehbi est scotché : «En l’écoutant, tout le monde l’imaginait au Sofitel en sortie de bain. Mais lui faisait une excellente analyse, s’amusait avec des jeux de mots et faisait un travail sur lui-même pour dépasser l’image que les gens avaient de lui.» Après avoir évoqué les concours Lépine, il ira jusqu’à dire à une jeune fille venue lui apporter un verre d’eau : «Vous prenez des risques!»
Anouar Zine, chef d’entreprise, militant à l’Union constitutionnelle, n’en revient toujours pas : « La scène était exceptionnelle. Il a pris de la hauteur par rapport à ce qu’il a vécu. Comme il est le premier à en rire, il désamorce...»
DSK pratique l’autodérision subtile. Mais qu’en disent les psys? «Ktert lhem ket dahhaq (l’excès de soucis fait rire), comme dit le dicton marocain! s’amuse Nadia Kadiri. Quand une situation est extrêmement lourde, elle devient plus tolérable si on la traite avec humour.» Et Aboubakr Harakat de renchérir : «C’est une sorte de catharsis. Il nous dit : “Vous ne pouvez pas m’atteindre par ça. Cherchez autre chose.” A partir de là , l’histoire se banalise. Et on peut tout recommencer. »
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DSK, Benkirane : mĂŞme combat
Et il ne recommence pas n’importe où. «Il est ici chez lui», souligne Driss Laraki, un chef d’entreprise militant au PJD, qui est venu l’aborder pour le lui dire. «Il est bien dommage pour le Maroc que vous ne vous soyez pas présenté en France.» A quoi DSK a répondu par une de ses formules à double sens dont il a le secret: «J’ai dû me retirer.»
DSK se sent bien au Maroc et n’a pas de problème avec un gouvernement islamiste : «Son discours sur la réduction des inégalités pour soutenir la croissance est le même que celui de Benkirane, souligne Driss Laraki. DSK m’a d’ailleurs dit que le programme du PJD était celui de tout gouvernement qui se respecte, qu’il n’avait rien d’islamiste.»
Il cherche un job ou quoi? En tout cas, il cherche à revenir dans le Royaume. Il a commencé son intervention par «toutes les occasions pour venir au Maroc sont bonnes», et l’a conclue en demandant à Nadia Salah de l’inviter l’année prochaine. Depuis sa libération, c’est (au moins) son troisième séjour dans le Royaume.
Ici, on l’accueille à bras ouverts. «On a toujours reçu correctement, même des dictateurs. Alors pourquoi pas lui? Au moins il n’a pas de sang sur les mains, remarque Anouar Zine. D’un point de vue occidental, cela peut paraître choquant. Mais il a fait une erreur que les Marocains comprennent, et nous, on fait la distinction entre le bonhomme et ses conneries.»
Strauss-Kahn le Gadiri peut ainsi redevenir prophète dans son pays d’enfance. «Le Maroc est son paradis perdu, estime la psychologue Saida Laraki. On reste toujours attaché à sa terre. Cette terre l’a crucifié et lui a aussi tout donné.» Et elle continue à être généreuse. «Quand bien même les autres le rejettent, les Marocains l’accueillent car il fait partie de ce pays», résume Aboubakr Harakat.
Un accueil si chaleureux que, lors de son passage au Hyatt, les femmes se bousculaient pour poser à côté du mâle dominant. «C’est un comportement un peu animal, analyse Nadia Kadiri. Les femelles sont attirées par le danger et par la bête. Et il y a aussi un côté narcissique à poser à côté de cet homme qui fait peur et qui a failli être président.»
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L’attrait est si fort qu’il touche même les voilées. C’est grave docteur? «Avec le voile, on a une certaine immunité», relève Saida Laraki. Si on reste couverte, on peut donc s’afficher avec le scandale sexuel du siècle.
Mais DSK, qui s’est prêté de bonne grâce à ces séances photos, ne semblait pas particulièrement intéressé par ses fans voilées. Le vice a ses limites. Et Strauss-Kahn est peut-être sur la voie de la rédemption.
Pourtant, une rumeur a circulé dans tout Casa. On l’aurait vu dans un restaurant de la Corniche en galante compagnie le soir même... En fait, il a passé la soirée chez les Dilami avant de rentrer sagement au Hyatt. On ne prête qu’aux riches !
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Eric Le Braz |