UsfpĂ©iste de cĆur et de naissance, SelwaBenabdallah recrute aujourdâhui des compĂ©tences pour le PJD. Un itinĂ©raire atypique qui prĂ©figure peut-ĂȘtre le Maroc dâaprĂšs le 25 novembre...
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MĂ©diouna, câest quelque part entre le Bangladesh et lâEthiopie.â» Il est dix heures ce dimanche matin et, au volant de sa Range Rover customisĂ©e aux couleurs du PJD, Driss Laraki nous dĂ©crit sa circonscription.
MĂ©diouna, câest une ville improbable quâil a toujours traversĂ©e sans jamais sây arrĂȘter comme la plupart des Casablancais qui longent cette banlieue de Casa sur lâautoroute de Rabat. Ici, on est Ă dix minutes de la mĂ©gapole, et dans un autre mondeâ; dans une agglomĂ©ration de 200â000 habitants, Ă©chancrĂ©e par des champs oĂč paissent les moutons et des dĂ©charges oĂč broutent les vaches.
La Range Rover se gare Ă lâentrĂ©e de la «âcommuneâ» de Sidi Hajaj. Une cinquantaine de militants du PJD entraĂźne une foule de gamins et de curieux en scandant «â3lash hna fou9ara, klawnacheffaraâ!â» (Pourquoi sommes-nous pauvresâ? Les voleurs nous ont mangĂ©sâ!â).
Dans le cortĂšge, Driss Laraki distribue les tracts en dĂ©cryptant le logo du PJDâ: «âCâest la lampe qui va nous Ă©clairerâ!â» Mais ici, on nâa pas seulement besoin de lumiĂšres. Les enfants assaillent les militants en rĂ©clamant de lâargent. Ils ont entendu dire quâun parti en distribuait dans le douar voisin.
Et ils racontent les cinq kilomĂštres Ă pied quâil faut parcourir chaque jour pour aller Ă lâĂ©cole, les chiens qui les attaquent, les gamins qui tombent dans la mare verte comme un gazon, vĂ©ritable Ă©gout Ă ciel ouvert...
Une mĂšre de famille rĂąle, apostrophe le candidatâ: «âNous, on est des analphabĂštes et on vote pour des gens qui ne le mĂ©ritent pas. Ils viennent ici Ă©gorger le mouton, distribuer de lâargent... Mais aprĂšs, ils ne font rien.â» Driss Laraki ne se dĂ©monte pasâ: «âMoi, je suis sĂ©rieux. Jâai des relations haut placĂ©es, je suis de Ain Diab, et ce quâon veut faire câest ramener les hommes dâaffaires ici.â»
Car le candidat de la lampe Ă MĂ©diouna nâest ni barbu, ni prof comme 48% des accrĂ©ditĂ©s du PJD. Câest un chef dâentreprise, serial entrepreneur, un habituĂ© des rĂ©ceptions Ă la CGEM plus que des promenades le long des dĂ©charges. Si on lui avait dit, il y a trois mois, quâil serait candidat pour le parti islamiste dans une circonscription de bidonvillois, il aurait probablement rigolĂ©. «âMais voilĂ , explique-t-il, comme on dit, derriĂšre tout grand hommeâââce que je ne suis pasââ, il y a une femmeâ!â»
La femme providentielle
Elle sâappelle SelwaBenabdallah, et sa joie de vivre est connue du petit grand monde de Souissi ou dâAnfa. TrĂ©soriĂšre du Womenâs Tribune, chef dâentreprise, lâex-Ă©pouse de Ali Bouabid est aussi une socialiste convaincue, usfpĂ©iste de naissance et de cĆur. Mais ce matin, elle marche dans la boue aux cĂŽtĂ©s de Driss Laraki pour distribuer des tracts du PJD au cĆur dâune meute dâenfants qui ont adoptĂ© son rire communicatif.
Câest elle qui a prĂ©sentĂ© Laraki Ă Benkirane. Lâun cherchait un parti sĂ©rieux or, au RNI ou Ă lâIstiqlal, il nâaurait Ă©tĂ© quâun patron parmi dâautresâ; lâautre est avide de compĂ©tences rares dans son parti... Du winwin quoi.
Driss Laraki sâexpliqueâ: «âSi je nâĂ©tais pas au PJD, je ne sais pas si je voterais pour eux. Ce sont les plus sĂ©rieux, les plus crĂ©dibles, mais jâaurais peur que ce ne soit que la partie visible de lâiceberg. On craint tous la base plus extrĂ©miste. Mais mon rĂŽle, câest de modĂ©rer le parti de lâintĂ©rieur et de les ouvrir vers une certaine modernitĂ© plutĂŽt que de les laisser sâextrĂ©miser entre eux.â» SelwaBenabdallah justifie pareillement son rĂŽle de chasseuse de tĂȘtes pour la lampeâ: «âSi le parti est amenĂ© Ă prendre le pouvoir, autant ĂȘtre Ă lâintĂ©rieur pour ne pas les laisser dĂ©border dans un sens qui nous ferait revenir en arriĂšre, nonâ?â»
Comment lâusfpĂ©iste de toujours en est-elle arrivĂ©e Ă tenir ce discours qui dĂ©tonne... ou qui prĂ©figure une nouvelle carte politique du Marocâ? Car le parti de la rose sâest singuliĂšrement fanĂ© et ne lui a prĂ©sentĂ© que des Ă©pines. En avril, elle prĂ©sente Aicha Elabbasy, une vingtfĂ©vrieriste qui travaille avec NoureddineAyouch, Ă Oualalou.
«âIls nâen ont pas voulu. Ils ratent des opportunitĂ©s, ils sont fermĂ©s sur eux-mĂȘmes, ils sont has-beenâ!â» Le jeune talent de la comâ ira finalement rejoindre le PJD oĂč elle est aujourdâhui encartĂ©e. Aicha prĂ©sente Ă son tour Benkirane Ă Selwa.
Quand le leader du PJD dit, «âil vaut mieux ĂȘtre moins riche dans un pays sĂ»r quâĂȘtre riche dans un pays instableâ», le courant passe et Selwa introduit le barbu en chef auprĂšs de ses copines du Womenâs Tribune.
Une premiĂšre rĂ©union est organisĂ©e chez FathiaBennis Ă Rabat. Puis tout sâenchaĂźne, la tournĂ©e de Benkirane Ă la Bourse, Ă la CGEM ou dans des rĂ©unions informelles abritĂ©es par les villas cossues des hauteurs de Casa. SelwaBenabdallah assume son rĂŽle de marieuse. Un talent hĂ©rĂ©ditaire : «âMon pĂšre Ă©tait proche du prince Moulay Abdallahâ; des annĂ©es de plomb Ă lâalternance, il servait de pont entre le Palais et lâUSFP. Je refais la mĂȘme chose autrement.â» Et elle a toujours fait ça.
Câest elle qui a recommandĂ© YounĂšsSekkouri, aujourdâhui tĂȘte de liste nationale du PAM, Ă El Himma. Elle affirme ne plus ĂȘtre proche du sĂ©rail mais se souvient avoir frĂ©quentĂ© dans sa jeunesse les mĂȘmes plages que Fouad Ali El Himma, Mounir Majidi et le prince hĂ©ritier.
Sauf quâelle Ă©tait alors USFP jusquâau bout des ongles. Elle lâest restĂ©e jusquâau mois dernier quand elle a voulu se prĂ©senter Ă Casa Anfa, derriĂšre le jeune tĂ©nor du barreau, Youssef Chehbi.
Les deux ont Ă©tĂ© recalĂ©s au profit dâun notable de ce parti quâelle abhorre dĂ©sormaisâ: «âLes valeurs du PJD sont les anciennes valeurs de lâUSFP. Pourquoi on aimait lâUSFP avantâ? Car ils Ă©taient intĂšgres !â» Elle se sent incapable de voter Lachgar dans sa circonscription de Souissi, se dit effarĂ©e par lâaffaire Alioua ou lâintronisation de Zahraoui Ă El Jadida.
Bouabid, Balafrej, Hariri, Chehbi... SelwaBenabdallah Ă©grĂšne, amĂšre, la liste du vivier de talents que lâUFSP nâa pas su retenir. La nuit est tombĂ©e et nous sommes Ă lâentrĂ©e de KhĂ©misset. Le long dimanche de la militante multicarte nâest pas fini. Car elle vient soutenir dans le Gharb, GhizlaneBenachir, la tĂȘte de liste... USFP.
Un soutien indéfectible
«âDes gens comme elle, on en voudrait dans ce partiâ!â» La candidate, militante associative, accueille Selwa Ă lâissue dâune journĂ©e de campagne et raconte sa visite chez des Ă©lecteurs plongĂ©s dans le noir. Ils nâavaient pas «âbien votĂ©â» aux derniĂšres municipales et leur quartier nâa pas Ă©tĂ© reliĂ© Ă lâĂ©lectricitĂ©.
Selwa reviendra mercredi pour son meeting. Elle dĂ©marche aussi les donateurs pour soutenir lâusfpĂ©iste de KhĂ©misset... tout en prĂȘtant une voiture et une camionnette aux militants PJD de MĂ©diounaâ!
«âIl faut que le PJD passe. Si câest les autres, ce sera le chaos total, la traversĂ©e du dĂ©sert.â» Quels autresâ? «âLe G8, le groupement de tous les opportunistes du Maroc.â» Il y en a pourtant aussi ailleurs... AprĂšs que le supplĂ©ment people dâactuel a Ă©tĂ© placardĂ© dans tout Casa et Rabat, alors quâelle apparaissait avec le leader du PJD en couverture, son tĂ©lĂ©phone nâa pas arrĂȘtĂ© de sonner.
Non pas pour lâinsulter... mais pour demander un rendez-vous avec Benkirane. Driss Laraki est un poisson pilote de lâouverture du PJD. Si la lampe accĂšde au pouvoir, Benkirane nâaura aucun mal Ă pĂȘcher dâautres trĂšs gros poissons... Merci quiâ?
Eric Le Braz |