DĂ©goĂ»tĂ©s par les politiciens, les jeunes se sont rabattus sur le Web. Les dĂ©bats sur lâactualitĂ© font rage et cet activisme bien particulier bouscule la pensĂ©e unique et met dans lâembarras la classe politique.
***
Depuis quelque temps, blogs, sites personnels et autres forums typiquement marocains fleurissent sur le Web. Contrairement Ă ce que lâon pense, les sujets et les dĂ©bats politiques traversent les discussions et constituent lâessentiel du contenu de ces blogs. On retrouve cette tendance sur des forums spĂ©cialisĂ©s, oĂč des jeunes hommes â et quelques femmes â parlent politique, partis, Ă©lections... Des discussions Ă coeur ouvert oĂč le meilleur cĂŽtoie le pire. Les jeunes nâaiment pas la politique ? On est loin de l'image d'Ăpinal de ces jeunes plongĂ©s dans leurs instincts post-pubertaires et obnubilĂ©s par le hard rock et les joints.
La seule diffĂ©rence, câest que pour la grande majoritĂ©, ils voient la politique autrement. Preuve que ces bloggeurs sây intĂ©ressent de prĂšs, ils rĂ©agissent au quart de tour Ă lâactualitĂ© du pays. Le lendemain du grand raout de Mezouar, organisĂ© il y a une semaine de cela Ă Casablanca et qui visait clairement les jeunes, « Bigbrothermaroc » rĂ©agissait sous le titre « Le RNI, un parti qui drague les jeunes Marocains avec un langage de vieux », suivi dâun texte mordant mais non dĂ©nuĂ© dâintĂ©rĂȘt : « Savez-vous que le RNI (le parti politique du ministre actuel des Finances, Salaheddine Mezouar) vient dâentamer une soi-disant ââvaste opĂ©ration de communication en direction des jeunes actifsââ ? Une journĂ©e spĂ©ciale du RNI pour courtiser la jeunesse marocaine ! Quoi de plus magnifique que de voir nos politiques sâintĂ©resser aux jeunes, sauf que⊠les jeunes ont un langage que les politiques ne parlent pas, ou pas encore. Les jeunes parlent Internet, Facebook, concret, honnĂȘtetĂ© politique, pragmatisme⊠Quâen est-il du RNI ? », sâinterroge le bloggeur. Les blog sont-il en train de devenir un vĂ©ritable quatriĂšme pouvoir ? Parmi les quelques milliers de sites recensĂ©s dans la blogosphĂšre marocaine, certains sont en avance sur les autres, non seulement par la quaÂŹlitĂ© des dĂ©bats qui traversent les forums mais surtout par la prĂ©cision et le souci de vĂ©rification de lâinfo.
Sur « larbi.org », les internautes peuvent lire des informations de premiĂšre main et, cerise sur le gĂąteau, le bloggeur, qui est Ă©galement journaliste, Ă©pluche les informations prĂ©sentĂ©es par les journaux et les passe au scanner de la critique, relevant les incohĂ©rences, les faux scoops et les manipulations. Les blogs sont ainsi devenus de vĂ©ritables sources dâinformations et de tracas Ă©galement. Pas seulement pour les journalistes. Cela inquiĂšte les services secrets.
«Nouvelle forme de dissidence»
La DGST a sonnĂ© l'alarme l'Ă©tĂ© dernier. Une circulaire avait fait le tour des services pour sensibiliser les personnels Ă cette « nouvelle forme de dissidence ». Les bloggeurs ont vite battu les dĂ©fenseurs des droits de lâHomme sur leur propre terrain : pas une manif, pas une bastonnade ayant lieu dans un douar reculĂ© qui ne soient relayĂ©es et balancĂ©es sur la toile avec force photos et commentaires. Les autoritĂ©s ne savent pas vraiment comment gĂ©rer ce nouveau type de dissidence. Le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, Khalil Naciri, parle de « zone de non-droit ». On souffle ainsi le chaud et le froid. Certains bloggeurs sont interpellĂ©s, menacĂ©s, dâautres se retrouvent carrĂ©ment derriĂšre les barreaux. Câest le cas de Boubaker Al Yadib qui a passĂ© prĂšs de deux mois en prison, avant dâĂȘtre remis en libertĂ© en avril dernier. Le bloggeur marocain avait Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©, puis condamnĂ© Ă six mois d'emprisonnement par le tribunal de Guelmim, dans le sud du pays, aprĂšs avoir notamment diffusĂ© sur Internet les photos d'une manifestation rĂ©primĂ©e, en dĂ©cembre, dans un village reculĂ©. Un mois plus tĂŽt, un autre bloggeur, arrĂȘtĂ© pour les mĂȘmes raisons, El-Bachir Hazzam, avait Ă©tĂ© lui aussi relĂąchĂ©.
L'anonymat du bloggeur favorise la mythomanie, les dĂ©rives voire le canular. La plupart d'entre eux nâont pas le recul nĂ©cessaire pour vĂ©rifier, recouper les infos et sâassurer quâils ne tombent pas dans la diffamation. Pour Anas El Filali, le crĂ©ateur de « Bigbrothermaroc », « il faut rester accrochĂ© Ă lâactualitĂ©, pour ma part je mâassure toujours que lâinfo choisie sort de lâordinaire et quâelle permet le coup de gueule. La crĂ©ation de ce blog est nĂ©e au lendemain des bombardements de Gaza par Tsahal. Jâai ressenti un besoin irrĂ©pressible de mâexprimer librement, de faire Ă©tat de mon indignation devant tant dâinjustices ». Depuis, « bigbrother » fait des pointes de 3 000 Ă 4 000 visiteurs par jour ; pas de quoi faire exploser lâaudimat mais câest dĂ©jĂ pas mal pour un blog crĂ©Ă© en janvier 2009.
Le phĂ©nomĂšne est tel que mĂȘme les hommes politiques et les patrons ont Ă©tĂ© touchĂ©s par la blogmania. HĂ©las, ils manquent de souffle ! Driss Lachgar se contente de reproduire les dĂ©pĂȘches de la Map ou les interviews quâil accorde. Le dernier article dâAhmed Reda Chami sur son blog date de septembre 2009. Il sâest converti depuis Ă Twitter mais a calĂ© le 14 janvier. Mohamed Horani, le boss de la CGEM, ne fait pas mieux. Il sâest Ă©coulĂ© trois mois entre son troisiĂšme et quatriĂšme post. Nos grosses pointures ont dĂ©cidemment du mal Ă sâacclimater aux nouveaux mĂ©diasâŠ
Abdellatif El Azizi
|